"Cette crise va complètement redessiner le secteur du carrelage"
Affirmer que le monde de la céramique est en pleine tempête constitue un euphémisme. La crise énergétique, le corona, la guerre en Ukraine et les grèves en Espagne provoquent des hausses de prix et des problèmes d’approvisionnement sans précédent. Pourtant, les grossistes belges font preuve de résilience. À court terme, ils exigent un signal fort de la part du gouvernement et de l'Europe. À long terme par contre, cette crise pourrait avoir des conséquences positives.
Il y a d’abord eu le corona. Craignant des problèmes de liquidités, les fabricants ont déversé massivement leurs stocks de carrelages céramiques sur le marché. Mais ensuite, le transport par conteneurs maritimes s'est arrêté parce que les prix explosaient. Les usines européennes ne pouvaient plus répondre à la demande car, soudain, les gens se sont mis à rénover au lieu de voyager.
"Les prix ont augmenté rapidement", déclare Kristof T'sjoen de Stone. "Cela a vraiment été la panique. Cela s’explique naturellement aussi par le fait que l’on a trop longtemps produit trop bon marché. Depuis 2008, les prix n’ont fait que baisser. Les fabricants travaillaient au volume, avec de faibles marges. Pendant le corona, le marché de l'offre et de la demande a joué son rôle et les prix ont augmenté."
L’argile ukrainienne
Et ils ont continué à augmenter. Car la guerre en Ukraine a entraîné des problèmes d'approvisionnement de l'argile ukrainienne nécessaire à la production des carrelages. Avec l’explosion des prix de l'énergie, les coûts du transport ont également augmenté en raison de toutes sortes de surcoûts énergétiques, tout comme le prix de la production des carrelages proprement dits, les fours nécessitant énormément de gaz.
"Cette situation est presque intenable", affirme Kristof T'sjoen. "Certains en profitent sérieusement, en facturant des surcoûts énergétiques sur des carrelages qui étaient déjà disponibles de stock, sur lesquels le prix du gaz n’a donc aucune influence." Pour couronner le tout, d'importantes grèves ont également éclaté en Espagne, de telle sorte que ceux qui ont passé des commandes là-bas devront encore un peu s’armer de patience.
"Nous travaillons actuellement au jour le jour", déclare Carlo De Schutter de RI.PA. "En fait, nous sommes un peu la victime des bateaux plus écologiques. Ce changement écologique a entraîné la disparition des bateaux les plus polluants – et c’est une bonne chose, ne me comprenez pas mal – mais cela a réduit la flotte disponible et provoqué un déséquilibre. J'ai l'impression que le secteur des transports en profite pour pratiquer des prix exorbitants. L'Union Européenne doit vraiment prendre des mesures à cet égard, car les prix soudainement facturés sont devenus pratiquement criminels."
Des stocks immenses
Tous les grossistes belges sont mobilisés. Ils ont presque tous anticipé en constituant des stocks importants.
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“Nous avons constitué d'énormes stocks de nos articles stratégiques et populaires. Je pense que nous n'avons jamais eu autant de stock", explique Guy Royaux (Tyles). "Lorsqu’un produit n’est pas de stock, nous essayons de proposer des alternatives aux clients. Nous disposons également d'un portail relié à une base de données de produits qui nous permet d'ajuster les prix au bon moment. Vous scannez le code QR sur le carreau et vous connaissez immédiatement le prix actuel. Nous ne devons donc plus imprimer des étiquettes de prix, car si vous avez un jour de retard dans l'ajustement de vos prix, vous subissez immédiatement des pertes. Nous contrôlons aussi chaque facture trois fois. Une usine a facturé 10.000 euros de plus que le prix convenu parce qu'elle avait déjà appliqué le nouveau tarif. Ce sont des pièges qu’il faut surveiller.”
Même son de cloche chez Patrick Steylaerts. "Lorsque nous avons vu ces changements arriver au milieu de l'année dernière, nous avons immédiatement réagi. Nous avons commandé d'énormes stocks de carrelages auprès des fabricants, à des prix alors encore normaux. Entre-temps, nous avons même doublé le niveau de nos stocks: de trois mois habituellement à plus de six mois. Nous devons répercuter les augmentations de prix uniquement pour les produits que nous n'avons pas ou plus de stock. Cela nous procure un avantage considérable par rapport aux entreprises dont les stocks sont limités, qui doivent subir de façon impuissante les augmentations de prix parfois abruptes et les répercuter sur leurs clients."
La construction s’essouffle
Les énormes fluctuations de prix provoquent un stress supplémentaire chez nos grossistes. Mais dans l'ensemble, ils tiennent bon.
"Je suis plus inquiet pour les moyens de subsistance des entrepreneurs", précise Carlo De Schutter de RI.PA. "Ils ne peuvent pas répercuter ces énormes augmentations de prix, et celles-ci ne concernent pas que les carrelages. Le gouvernement doit intervenir, car si le secteur de la construction commence à s'essouffler, nous nous retrouverons avec une crise économique. Nos clients nous disent déjà qu’il y a beaucoup moins de commandes et que leurs journées portes ouvertes n'attirent tout simplement pas les foules. Les gens attendent pour construire ou rénover. Je m'attends donc à un ralentissement de la construction; ce sera encore un printemps difficile."
Comme le confirme Kristof T'sjoen: "Le marché va s'immobiliser. Je nourris des craintes pour le second semestre 2022. Nous ne rendons actuellement plus de prix pour les marchés publics et nous avons raccourci la date de validité des devis. Il y a cependant aussi des gens qui paient déjà maintenant des commandes de matériaux dont ils n’auront besoin que l’année prochaine."
Carlo De Schutter souligne également une conséquence plus ‘positive’ de cette crise. "La crise va totalement redessiner le marché du carrelage. La guerre pour les carrelages les moins chers va disparaître. Seuls les segments moyen et haut de gamme survivront, et ce sont les segments sur lesquels nous travaillons principalement. Lorsque vous achetez un carrelage à 8 euros et qu'on vous facture un surcoût énergétique de 2,25 euros/m², comme c'est actuellement le cas en Espagne (cette mesure est entrée en vigueur le 14 avril), cela représente une augmentation de prix de 25%, mais sur des carrelages à 20 euros, cela ne représente qu'un peu plus de 10%. Les fabricants donneront donc la priorité à la production de ces derniers et feront passer leurs produits discount à l'arrière-plan, parce que les marges sur ceux-ci seront réduites."
Les temps seront donc encore difficiles pour nos grossistes ainsi que, par extension, pour les carreleurs et l'ensemble du secteur de la construction. Même si Churchill a dit un jour: ‘Never waste a good crisis’.
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