Eline Vandorpe: pas encore trente ans et déjà une femme de pouvoir
Elle peut sembler frêle mais Eline Vandorpe est sans conteste une femme de pouvoir. Vêtue d’un élégant ensemble rouge, elle nous accueille dans son bureau. Une lady in red qui sait ce qu’elle veut. “Quand j’étais enfant, je disais toujours que je voulais devenir la patronne”, répond-elle aven un sourire lorsque nous lui demandons quel métier elle voulait faire quand elle était petite. “D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu avoir une fonction de direction. Soit je voulais être indépendante, comme mes parents, soit diriger une entreprise. À l’époque, je n’avais encore de secteur spécifique en tête.”
Comment êtes-vous finalement arrivée dans les revêtements de sol ?
“J’ai étudié les sciences commerciales, avec une spécialisation en marketing. Après mes études, j’ai commencé à travailler pour la marque de montre Rodania à Bruxelles. Rien à voir, donc. Je cherchais quelque chose plus près de chez moi, c’est aussi simple que ça. J’ai débuté ici en 2015, au département marketing. Mon directeur devait préparer sa succession. Après une série d’évaluations en 2016, j’ai été sélectionnée.”
Vous avez une idée de pourquoi vous avez été retenue ?
“Pour ma ténacité, je pense. Quand je veux quelque chose, je me donne à fond. Mais je sais aussi me montrer flexible et je suis toujours prête à apprendre, car on ne peut pas être le meilleur en tout. Le fait de dire que j’avais encore énormément à apprendre a aussi joué en ma faveur, je pense. La concurrence n’était pas acharnée en interne, mais tous les autres candidats avaient beaucoup plus d’ancienneté. Certains étaient là depuis 15 ou 20 ans. Aujourd'hui, je les implique étroitement dans ce que j’entreprends, car je veux m’entourer des meilleurs.”
Au moment de ces évaluations, vous étiez toute jeune.
“Oui et c’est une fierté pour moi. C’est aussi un accomplissement à souligner en tant que femme. Parce c’est un monde d’hommes et aussi parce que nous faisons partie d’un groupe allemand. Là-bas, la culture est encore plus traditionnelle. Par exemple, le congé de maternité est de deux ans ! Un poste de direction n’est généralement pas envisageable pour une femme aussi jeune. Ils ne m’ont pas posé explicitement la question, car c’est interdit, mais je suis sûre qu'ils se sont demandé si je n’avais pas ce genre de projets en privé. Nous avons vraiment dû user de toute notre force de persuasion. Heureusement, notre ancien directeur croyait en moi. Il voulait me donner cette opportunité et il m’a aussi permis de temps à autre de faire mes propres erreurs.”
“Comme il a commencé très tôt à préparer sa succession, ça m’a donné le temps de me rôder car tout a véritablement débuté en 2016. À l’époque, je n’avais jamais travaillé ailleurs qu’au marketing. Mais pour diriger une entreprise, il faut plus de bagage que ça évidemment. Pour faire mes preuves, on m’a laissé gérer différents projets, comme la construction ici. Nous avons emménagé dans ce bâtiment il y a deux ans. Nous avons fait l’aménagement nous-mêmes. J’ai tout coordonné, du gros-œuvre à la finition.
"J’étais présente à chaque rendez-vous avec l’architecte et l’architecte d’intérieur, avec l’entrepreneur et les corps de métier... J’ai énormément appris sur les différentes étapes et les nombreux aspects d’une construction, ce qui m’a permis de mieux comprendre le quotidien de nos clients, leurs activités mais aussi leurs difficultés."
“Un autre grand projet qui m’a été confié, c’est la mise sur le marché de notre marque de sols en résine, Arturo. Ça s’est vraiment fait de A à Z : d’abord une étude de marché, puis un business plan avec des objectifs clairs, une vision claire et une stratégie globale. Les ventes d’Arturo ont débuté en 2018, et depuis le succès est au rendez-vous. Le lancement d’Arturo a été très instructif : j’ai dû considérer le tableau complet et mettre en œuvre tous les aspects de la gestion d’une entreprise. Vraiment passionnant !”
Pourquoi aimez-vous ce secteur ?
“C’est très diversifié. Nous ne faisons pas que dans le carrelage. Nous pouvons apporter une contribution à n'importe quelle construction neuve ou rénovation. En plus, c’est un monde d'hommes et je trouve ça intéressant. Ils n’ont pas l’habitude de voir une femme sur le chantier. J’ai dû pas mal me former au niveau technique. Tout à l’heure, vous me demandiez dans quel secteur je me voyais travailler, enfant. Eh bien, certainement pas celui-ci. Et on me met sérieusement à l’épreuve. Certains s’estimaient satisfaits après m’avoir posé une question technique. D’autres me posaient cinq ou dix questions avant de se laisser convaincre que j’y connaissais quelque chose. Mais quand vous montrez que vous avez le savoir-faire en tant que femme, vous avez cette petite touche d’estime en plus. Car quand un homme s’y connaît en construction, on considère ça comme une évidence.”
Comment vous décririez-vous, en tant que patronne ?
“Ça a été tout un parcours et j’ai suivi plusieurs formations. Par nature, j’ai un caractère fort. Donc, j’ai vite tendance à décider ce qu’il faut faire. Mais j’ai appris que ce n’est pas la meilleure façon de faire. Parfois, ça aide de taper du poing sur la table mais c’est mieux si les solutions et la motivation viennent de mes collaborateurs. C’est pour ça que je m’efforce de leur donner les outils pour trouver eux-mêmes ces solutions."
"La formation à l’ennéagramme que j’ai suivie s’avère très utile. C’est un modèle qui analyse les gens selon neuf types de personnalité, avec leurs points forts et leurs points faibles. Ça a été très enrichissant, car ce modèle aide à mieux se comprendre et à mieux comprendre les autres et en particulier pourquoi les gens réagissent d’une certaine façon ensemble. Analyser à quel type de personne on a affaire permet d’adapter son comportement ou sa manière de communiquer en fonction de cette personne et d'obtenir ce qu’on attend."
"C’est intéressant pour moi en tant que responsable mais aussi pour les collègues entre eux. Pour moi, il n’y a rien de plus vrai que l’adage “teamwork makes the dream work”, tous mes collaborateurs ont pu suivre cette formation car je suis fermement convaincue que c’est un plus pour l’entreprise. N’oubliez pas : une entreprise, ça ne se dirige pas seul(e). Il est important que les seize personnes qui travaillent ici soient derrière moi et puissent compter les unes sur les autres.”
Vous êtes encore jeune et déjà directrice générale. Quelles sont vos ambitions pour la suite ?
“Pour l’instant, mon ambition est de faire grandir et mieux connaître Uzin Utz Belgique. Cette année, nous devons réaliser un chiffre d’affaires de 8,5 millions d’euros. En 2025, il y a déjà 12 millions sur la table. Nous avons plusieurs marques mais nous ne sommes leader de marché qu’avec Uzin. Notre marque Codex, par exemple, avec ses systèmes de pose pour le carrelage et la pierre naturelle, a besoin d’être relancée. C’est un marché ultra compétitif. Je veux trouver des moyens pour que ça fonctionne. D’autre part, le groupe accorde une grande importance aux résultats, et je vais continuer à chercher des possibilités pour les optimiser. Et une production en Belgique, pourquoi pas ? L’entreprise ne manque pas de potentiel pour mes ambitions. C’est d’ailleurs ce que j’ai dit lors de ma présentation au Conseil en Allemagne. Car j’imaginais ce qu'ils pensaient : si jeune et déjà si haut placée, et quoi après ?”
Vous ne vous imaginez pas changer complètement de secteur d’ici dix ans, par exemple ?
“Ce n’est pas dans mes projets, non. Je n’aime pas le côté impersonnel des multinationales. Je ne dirais pas que nous sommes une grande famille ici, mais presque. Cette proximité, tant avec les collaborateurs qu’avec nos clients, je trouve ça important. La majorité de mes collaborateurs travaillent ici depuis longtemps, ça crée des liens. Dans les multinationales, j’entends parfois des gens dire qu’ils ne sont pas allés au bureau pendant un an avec la crise sanitaire. Je ne peux pas m'imaginer faire ça. Dès que ça été possible, je suis retournée au bureau, sur les chantiers, chez les clients.”
Comment voyez-vous votre secteur évoluer dans les prochaines années ?
“Cela dépend évidemment selon la marque. C’est pour Uzin, notre plus grosse marque actuellement, que je vois le plus de défis. En effet, les évolutions du marché ne sont pas à notre avantage. On va de plus en plus vers les revêtements de sol autocollants, donc le savoir-faire se perd un peu. Je trouve ça dommage. D’un autre côte, pour cela, il faut un support impeccable et nous avons aussi les produits pour. Mais il va falloir un changement de mentalité. Les services de R&D et de production des différents pays devront s’adapter, par exemple en livrant aussi d’autres sites de production ou en développant des synergies.”
“Pour Codex, je vois encore beaucoup de potentiel pour les carrelages car nous ne sommes pas encore très développés à ce niveau. Même si je trouve dommage que nous soyons dans une spirale descendante au niveau des prix. Nous cherchons des moyens d’innover afin de pouvoir parer à cela. La tendance des sols coulés progresse encore, donc j’ai confiance. Le parquet est un autre aspect épineux, car la tendance est au parquet fini. Là aussi, il va nous falloir proposer des produits de finition industriels.”
“Sans oublier que le secteur de la construction dans son ensemble est confronté à des pénuries de matières premières. Donc, nous allons peut-être faire face à une nouvelle baisse. Déjà maintenant, je sens un ralentissement au niveau gros-œuvre. Nos produits s'utilisent dans la phase de parachèvement, donc nous n’en ressentirons l’effet que dans quelques mois. Je m’attends encore à quelques cahots. Mais chaque défi recèle aussi des opportunités.”
À quoi ressemble votre semaine ? Arrivez-vous facilement à séparer vie professionnelle et vie privée ?
“Je vis aujourd’hui à Anvers et ça a pour avantage que je passer une heure sur la route le matin. J’attends d’être dans la voiture pour planifier ma journée. Et quand je pars le soir, il me faut une heure ou une heure et demie pour rentrer chez moi. À ce moment-là, tout est classé dans mon esprit et je peux passer à autre chose. Et c’est nécessaire car que je ne rentre pas avant 19h30. J’essaie de déconnecter au maximum du travail. Même si je vérifie encore mes mails cinq fois sur la soirée. Sauf le weekend. Je laisse volontairement mon gsm de côté. Je prends tout très à cœur mais j’ai aussi appris que tenter de résoudre un problème à 10 heures du soir n’apportait généralement rien de bon. Le mieux est de se détendre le soir, pour attaquer la journée suivante avec le plein d’énergie pour affronter ce problème d’un œil neuf.”
Que faites-vous pour vous détendre ?
“Il y a quelques mois, j’ai renoué avec une ancienne passion. Je me suis remise au tennis. Pourtant, je ne suis pas très sportive. Mais je remarque que ça fait du bien de retaper dans la balle et de courir un peu. Et on ne dirait pas à me voir, mais je mange beaucoup. Cuisiner me détend énormément. Et je ne prends plus l’excuse qu’il faut que j’aie le temps. Au besoin, nous mangeons un peu plus tard. Donc même s’il est 20h30, je me mets aux fourneaux. Toujours sain, je n’aime pas trop les repas préparés en boîte. Je suis belle-mère de trois enfants. Quand ils sont avec nous, mon compagnon a déjà préparé à manger et parfois je succombe à la tentation d’un repas rapide que mon compagnon fait réchauffer car sinon, cela fait trop tard pour les enfants.”
Souhaitez-vous des enfants vous-même ?
“Oui, je l’ai toujours dit. J’avais envie d’être maman jeune mais la vie en a décidé autrement. Maintenant, je veux d’abord prendre le temps de bien m’acclimater à ma nouvelle fonction car chaque semaine, je suis encore confrontée à des choses nouvelles pour moi. Comme les rapports. Uzin Utz est coté en bourse, je dois suivre ça rigoureusement.”
Qu’est-ce qui vous rend heureuse ?
“Les choses simples. Boire un cava avec ma meilleure amie. Une belle chanson que j’entends pour la première fois. Où un lieu où je ne suis encore jamais allée. Mes amis et amies sont tous dans un autre secteur, personne ne travaille dans le technique, donc nous ne parlons pas souvent boulot.”
Y a-t-il des gens que vous admirez ?
“Mes parents. Ma mère a vu ses trois magasins de chaussures faire faillite. Au lieu de s’effondrer, elle a décidé de rebondir. Elle a démarré une entreprise de peinture. Et mon papa a habité quelques temps en Angleterre. Malgré son diplôme universitaire, il n’a pas trouvé d’emploi directement. Ils ont chacun traversé leurs propres galères. Ils m’ont appris à persévérer et à prendre les choses en main. Il faut aussi que la chance soit un peu de votre côté. Mais au final, il faut bien prendre soin de soi, c’est ainsi qu’on trouve la paix et c’est essentiel pour prendre les bonnes décisions. Alors vous pouvez rencontrer autant d’obstacles que vous voulez, si vous êtes droit dans vos bottes et que vous avez une vision claire de ce que vous voulez, vous y arriverez.”
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