En visite chez Steven Deraedt, spécialiste des panneaux céramiques XXL
Il y a deux choses que vous remarquez tout de suite en entrant dans l'atelier BIGceramiX, à Poperinge. Tout d'abord, on pourrait y manger par terre, ce qui est assez exceptionnel. Et puis le rire sonore de Steven Deraedt remplit l'espace. Il mérite donc un deuxième 10/10, pour l'ambiance et la convivialité de son entreprise ! Avec des bras comme des haubans d'acier, rien d'étonnant à ce qu'il sorte ses panneaux des caisses d'emballage et les porte lui-même jusqu'en haut des escaliers. Et dire qu'il avait d'abord choisi une tout autre orientation !
Qu'est-ce qui vous a amené aux panneaux de grand format ?
“Je suis charpentier de formation. À partir de 2007, j'ai travaillé dans le commerce de bois et matériaux de construction de mes beaux-parents. Et puis j'ai découvert le matériau céramique. Ils voulaient construire une nouvelle salle d'exposition, que j'ai aménagée de A à Z. Nous doutions du matériau à choisir pour habiller le comptoir d'accueil. Nous envisagions peut-être un carrelage 'métro'. À l'époque, les éléments XXL arrivaient à peine sur le marché. Ensuite, j'ai été épaté de la robustesse du matériau que j'avais choisi. Parfois, quelque chose tombait dessus, mais il n'y a jamais eu le moindre dommage. Alors j'ai voulu lancer ces panneaux de grand format, même si à l'époque je n'avais absolument aucune intention de devenir carreleur. J'en assurais surtout la promotion. Puis j'ai fini par réaliser du travail sur mesure avec un diamant de vitrier et une règle. J'appuyais la règle sur une palette de Gyproc pour mes découpes. Des débuts très basiques. Au bout d'un certain temps, je devais le faire tous les jours, alors j'ai construit une bonne table de coupe.”
Pourquoi ces grandes plaques vous ont-elles inspiré à ce point ?
“Parce que c'était nouveau. J'ai une grande connaissance des matériaux et quand j'ai vu que ces formats offraient tellement d'avantages, cela m'a réellement passionné. J'ai donc commencé à suivre toutes les évolutions de très près. On a rapidement su qu'il y avait à Poperinge quelqu'un qui était capable de travailler avec ces panneaux XXL, et nous avons commencé à recevoir des appels de partout. Et ce n'était que le début ! Nous avons même eu ici un représentant. Il m'a demandé si je travaillais avec un pont ou un waterjet. Je l'ai regardé avec surprise, l'ai accompagné à l'atelier et là, j'ai sorti mon diamant de vitrier. Il y a eu un grand silence. C'est ce que je trouve si fantastique dans cette histoire ! Vous pouvez faire beaucoup avec un tout petit investissement. Finalement, je suis entré en contact avec la firme Ri.Pa. Il m'embauchait pour le département XXL, pour donner des formations, faire de l'assistance sur chantier, aménager la salle d'exposition, agencer des salons et réaliser des expertises.”
Mais vous aviez très envie de devenir indépendant ?
“Je commençais à y reprendre de plus en plus de chantiers derrière ceux qui ne s'en sortaient pas avec les grands formats. La goutte d'eau est arrivée lorsque ma femme a demandé si j'allais continuer à travailler comme ça et à partager avec les autres tout mon savoir et mon expérience. Alors j'ai commencé à réfléchir. Après deux semaines, j'ai décidé de me lancer comme indépendant et d'acheter un camping-car. Pour cela, je me suis rendu spécialement à un salon, à Düsseldorf, avec mon mètre en main, car je savais exactement ce que je voulais : il fallait l'équiper pour pouvoir transporter les panneaux et les couper sur place."
"Je voulais ce camping-car pour gagner du temps. J'avais par exemple un projet à Knokke, à 1h30 de route. Le temps de charger mon matériel et d'arriver là-bas et toutes les camionnettes des équipes pour l'ascenseur, le frigo, la peinture, sont là avant moi. Alors je fais la préparation, je me couche tôt et le matin je suis le premier dans la file. Le soir, je n'ai pas à regarder l'heure, même si je fais quelques petites heures en plus."
"En outre, j'ai mon propre monte-meuble pour déménagement. Je ne veux pas en louer, car soit ils sont justement indisponibles ce jour-là, soit il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Je suis allé regarder à quelle hauteur en moyenne se situent les appartements de la côte pour voir de quel appareil j'avais besoin. Je loue parfois une grande camionnette pour transporter les panneaux et pouvoir les monter et les stocker à l'intérieur le même jour, ce qui me permet de commencer directement la pose le lendemain.”
Quelles sont pour vous les commandes les plus passionnantes ?
”Pas les classiques ! Plus c'est difficile, et plus j'apprécie. Le chantier le plus passionnant que j'aie eu se situait à Port-Grimaud, dans le sud de la France. Je n'avais qu'un panneau avec moi, donc interdiction de faire la moindre erreur. Pour nous, c'est la tolérance zéro. C'est tout à fait différent de la pierre naturelle par exemple, avec laquelle on a toujours la possibilité de retoucher ou de polir en cas de problème. Ou encore du carrelage de sol, pour lequel il suffit de commander quelques mètres carrés supplémentaires. Nous devons travailler de manière plus précise, c'est pour cela que tout le monde ne se lance pas dans les grands formats.”
Décrivez-moi une réalisation dont vous êtes particulièrement fier ?
“Le restaurant Terminus a été un chantier très spécial. Son propriétaire, Pieter Verheyde, a travaillé comme sommelier chez le chef étoilé Peter Goossens. Il voulait transformer le restaurant de ses parents de manière systématique. Par exemple, l'espace sanitaire avait vieilli. J'y ai placé plus de 40 panneaux, et il y a même une douche pour les chauffeurs de poids lourds qui s'arrêtent pour manger au restaurant."
"En fait, le confinement a été un peu une chance pour nous, puisque l'établissement a dû fermer, ce qui nous a permis de transporter plus facilement les panneaux à l'intérieur. J'en ai placé sur les murs, mais aussi au sol. Lorsque je travaille à un projet sur lequel il y a déjà un autre carreleur, je tiens à ce que nous achetions en même temps le sol et les panneaux afin d'avoir la même tonalité ou le même bain."
"J'ai donc d'abord carrelé, en essayant de poser autant de panneaux que possible sur leur longueur totale. Avec l'architecte, nous avons regardé où je pouvais placer les panneaux entiers. Ensuite, j'ai pu mesurer le travail de remplissage. J'ai découpé les panneaux moi-même dans mon atelier. Il y en avait tant que faire cela sur place n'aurait eu aucun sens. J'utilise pour cela plusieurs marques d'outillage. Et je travaille encore avec un diamant de vitrier et des machines de découpe manuelle pour les onglets. Je fais tout de manière simple, avec du simple bon sens paysan."
"Je n'emploie jamais de profilés. Au Terminus, j'ai coupé énormément d'onglets. Pour cela, je m'appuie sur mon savoir-faire de charpentier, un métier dans lequel il faut justement couper énormément d'onglets. Et puis j'ai veillé, comme toujours, à ce que les motifs se prolongent. C'est aussi quelque chose que j'ai appris en tant que charpentier. A Sint-Andries, j'ai travaillé sur un projet pour lequel je savais que le carreleur allait placer aux toilettes des dalles de 1 m sur 1 m, alors que l'endroit ne mesurait qu'un mètre 20 de large. Je me chargeais de la paroi arrière et je préférais en fait poser moi-même le sol, qui devait prolonger celle-ci. Attention, je ne prends jamais le travail de quelqu'un d'autre ! En fait, je veux surtout apporter un 'plus' aux carreleurs qui ne se voient pas poser du grand format. Je veux éviter qu'ils ne le déconseillent aux clients, tout simplement parce qu'ils ne voient pas comment s'en sortir.”
Au restaurant Terminus, il y avait des locaux humides. Comment vous y prenez-vous ?
“Je réalise l'étanchéité avec une natte. Mais j'applique aussi toujours deux couches de coating étanche, par sécurité. Je fais beaucoup de douches à l'italienne et je ne veux pas courir le risque de devoir tout casser."
"Au Terminus, j'ai placé les panneaux sur l'ancien carrelage, que j'ai d'abord dégraissé et recouvert d'un primaire. Ensuite, j'encolle directement. Pour cela, j'utilise une colle qui n'est pas la moins chère, mais ce qui m'intéresse c'est la qualité. Car les colles XXL permettent des choses impossibles à faire avec les autres. C'est ce que je constate parfois sur des chantiers où je travaille avec d'autre carreleurs. Vous jetez un peu de restes de colle dans un sac. Le jour suivant, ils veulent voir à quoi cela ressemble, et ils sont abasourdis de la dureté obtenue."
"Je me charge toujours moi-même des proportions de mes colles. Je veux de la crème pâtissière ! J'ai avec moi mes récipients-doseurs, et je sais combien il faut ajouter d'eau pour telle quantité de colle, en fonction de l'humidité de la pièce. Si vous utilisez trop de l'un ou de l'autre, vous bouleversez la structure de la colle, car les molécules sont déjà à l'œuvre, et vous perdez du temps.”
Et pour ce qui est de la finition ?
“J'opte toujours pour le mastic d'étanchéité. Je cherche la couleur qui se marie le mieux avec celle du carrelage, et je cherche jusqu'à ce que je trouve ! Pour les panneaux de grand format, il faut mastiquer dans les angles. Pour le raccordement avec le sol aussi. Après, il reste encore quelques joints montants, je ne les jointoie pas bien sûr, je les mastique aussi. La marque ne joue aucun rôle ici, c'est la couleur qui importe ! J'ai tous les coloris possibles. Je vois parfois des joints gris avec des sols beiges, mais ça ne ressemble à rien ! Certains carreleurs ne connaissent que trois couleurs : le blanc, le gris clair, le gris foncé. Est-ce la recherche de la facilité ? Pour moi, cela ne se fait pas !"
"Finalement, mon travail était achevé lorsque Pieter m'a appelé. En installant la robinetterie, ils avaient percé le mur et mon panneau. Et il trouvait le dessin du panneau si beau qu'il voulait exactement le même pour la réparation. Disons qu'il s'agissait d'un gros défi. Il me restait trois panneaux réservés pour un autre projet. J'ai donc photographié chacun des trois, puis j'ai tout observé en détail pour retrouver des panneaux parfaitement identiques et les remettre en place. Lorsque j'ai appelé Peter et que je lui ai montré les photos avant/après, son regard en disait long. Dans un moment comme celui-là, je suis heureux et satisfait, défi gagné !”
Les favoris de Steven
- Vos loisirs : “Voyager. Pour les congés de la construction, nous allons régulièrement au lac de Garde, avec ma femme et nos deux enfants. J'ai toujours hâte d'y aller. Et j'aime rouler en Vespa. Je n'ai pas beaucoup de temps pour le faire mais quand il fait beau, je prends la Vespa. Cela me détend et me permet de réfléchir. Sinon, c'est toujours le travail.”
- Vos films favoris : “J'en regarde avec les enfants, mais je n'ai pas de préférence. J'apprécie aussi un bon thriller”
- Votre musique favorite : “Italienne et française. En fait, je suis tombé amoureux de l'Italie il y a quelques années. Enfant, je suis allé pendant 12 ans dans le sud de la France, mais le problème ce sont les Français (rires).”
- Plat préféré : “Côte à l'os avec une béarnaise fraîche maison et des frites”
Qu'est-ce qui est typiquement Steven Deraedt ?
“J'ose aller loin avec le 6 mm. Je fais par exemple le socle en 6 mm, parce que je trouve cela plus esthétique. Vous voyez qu'ils sont en train d'intégrer une cuisinière dans la pierre. Alors il ne faut pas placer un évier en surplomb. Quand je vois maintenant des lavabos avec une bordure de 2 cm, je trouve ça très pompeux. Un socle de 6 mm est beaucoup plus élégant."
"Je respecte aussi le canal. Lorsqu'un architecte emmène son ou ses clients dans une autre salle d'exposition, j'achète les panneaux par le biais de ce commerce. Je constate d'ailleurs que ceux-ci veulent de plus en plus faire appel à mes services, mais je ne marche jamais sur les plates-bandes de quelqu'un. Et lorsque je reçois des factures, je les paie le jour même, au plus tard le lendemain, car je ne veux pas que, si l'architecte collabore à nouveau avec cette salle d'exposition, on lui dise que la facture est encore ouverte. Tout doit être parfait. Lorsque les gens commandent chez moi, je demande toujours un acompte et je commande les panneaux après. Je fais un devis complet, et je calcule les délais. Exceptionnellement, je peux facturer en heures ou journées.”
Comment les clients arrivent-ils chez vous ?
“Envoyés par des architectes, des architectes d'intérieur ou par le bouche-à-oreille, mais aussi, et de plus en plus souvent, par des salles d'exposition qui me les adressent pour la pose. Et beaucoup de clients reviennent. Je leur dis toujours : vous ne verrez jamais que je suis passé ici, seulement dans votre salle de bains. La première chose que j'apporte avec moi, c'est mon aspirateur, et c'est aussi le dernier objet que j'emporte en partant.”
Comment vous formez-vous ?
“Je suis assoiffé de savoir. Je vole les informations avec mes yeux. Et j'expérimente beaucoup aussi. De plus, je visite tous les salons possibles, et j'aime y parler avec les producteurs. En Italie, je visite régulièrement des usines. À Cersaie aussi, je suis toujours de la partie pour comparer des nouveautés. Je travaille avec toutes les marques, mais seulement avec ce qu'elles font de beau. Je ne suis pas la foule, je veux me consacrer à de beaux projets. L'aspect esthétique est très important, tout comme le respect pour les autres matériaux. Quand on travaille dans cette optique, on peut faire de très belles choses. Ce n'est pas l'appât du gain qui m'anime, mais la passion. La qualité et l'esthétique sont plus importantes."
"Je ne veux pas la nommer ici, mais il existe une marque italienne qui vous permet de visiter virtuellement une villa habillée de ses panneaux jusqu'au plafond. Eh bien, c'est très laid ! Je ne comprends pas qu'on puisse commettre de telles erreurs. Chaque marque a bien sûr un panneau Sahara Noir, l'une avec plus de caractère que l'autre. Le choix doit s'accorder au concept.”
Avez-vous encore un souhait professionnel ?
“Il y a quatre ans, j'ai acheté ici, à Poperinge, un immeuble avec un atelier. Autrefois, ils y stockaient du houblon, j'ai donc un grenier de 440 m² capable de supporter une charge de 1500 kg au mètre carré. Ce qui représente beaucoup de caisses avec des panneaux ! C'est là que se trouve également mon domicile. Je vais bientôt l'aménager, comme une sorte de show-room, avec des panneaux et d'autres matériaux, afin que les clients puissent découvrir toutes les applications possibles. Dans mon hangar, il y a une TV pour montrer comment je travaille. Dans le séjour et la salle de bains, j'ai aussi une TV pour montrer les projets et j'ai encore une petite salle de cinéma pour la production des panneaux. Je veux aussi une piscine aux parois transparentes en verre. La prochaine étape consistera à mettre de l'ordre dans mon site. Mais pour cela, j'ai choisi d'attendre, car je veux montrer mes propres réalisations. Vous le voyez, quand c'est dans ma tête, ce n'est pas ailleurs.”
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