Cersaie 2023: un levier pour un marché moribond?
Cersaie a fêté son 40ème anniversaire avec courage et fierté. Un parcours d'honneur avait été mis en place, mais les halls pleins à craquer, dans lesquels 634 exposants ont accueilli une foule de visiteurs, ont également donné de l'éclat à la fête. Pour la première fois de l'histoire de ce salon, les organisateurs ont même dû refuser des exposants. Cependant, plusieurs nuages menaçants se sont également accumulés au-dessus des halls d'exposition, bien décidés à tenter de plomber l'ambiance.
"Au premier semestre 2023, le marché de la céramique a reculé de 14%", nous a expliqué Emilio Mussini, vice-président de la Confindustria. "Mais je ne veux pas oublier, ET souligner à quel point les astres étaient bien alignés l'année précédente, une année record."
Ce fut effectivement le cas. Nous nous sommes à nouveau penchés sur les résultats des dix plus grands acteurs d'origine italienne, de Marazzi à Gresmalt, et avons noté une croissance impressionnante pour 2022: entre 15 et 31%. Tous nos interlocuteurs s'accordaient sur le caractère exceptionnel de cette année 2022, tout en admettant que la donne est effectivement moins favorable pour l'instant.
Trouver des opportunités
Pour certains, le recul est inférieur à cette moyenne. S'adressant au journal italien La Corriere Della Serra, Federica Minozzi, patronne du groupe Iris Ceramica, numéro trois en Italie, a déclaré que ses marques avaient subi une baisse de 25% au cours du premier semestre de l'année. Il s'agit tout de même d'un sérieux coup de frein. D'autres parlaient d'un ralentissement moins marqué - ou cachaient davantage leur jeu - mais personne ne nie qu'il faut trouver des opportunités sur ce marché moribond.
"Il n'y a cependant aucune raison de paniquer", déclare Bas de Ridder, directeur commercial de Grespania. "Nous avons traversé plusieurs périodes difficiles au cours de notre tradition de plusieurs décennies en tant qu'entreprise familiale." Cet optimisme voilé se retrouvait chez d'autres marques présentes. En effet, que peut-on vraiment attendre après une année absolument exceptionnelle comme 2022?
Seule l'Inde progresse
Pour certains fournisseurs, le recul des ventes laisse aussi entrevoir des opportunités. "Durant le pic du corona, il fallait produire, produire encore et produire toujours plus. Il n'y avait plus un millimètre de place pour d'autres choses, comme de nouvelles méthodes de travail par exemple", explique Michael Nissler du développeur de logiciels Visoft. "Aujourd'hui, les fabricants envisagent d'investir dans l'amélioration de leur compétitivité. Voler un peu plus bas n'est pas une mauvaise chose, tant que ce n'est pas trop bas."
Cersaie constitue en tout cas l'occasion de se pencher sur les raisons sous-jacentes de ce recul. "La hausse des taux d'intérêt, l'inflation et la faiblesse de l'économie nous jouent des tours", explique M. Mussini. "Mais au niveau international, l'Italie reste le plus grand producteur. Seule l'Inde enregistre une croissance vraiment solide cette année." Autre point positif: la céramique recule moins que d'autres matériaux pour la finition des sols.
Un remède qui a souvent fait ses preuves et très prisé pour inverser la baisse des ventes consiste à raviver l'appétit avec des tendances innovantes et une gamme de nouveaux produits. "Il convient alors d'être prêt lorsque le marché se reprend", précise David Barone, l'agent belge de Tagina.
Tendances et protagonistes
Le style papier peint, aux motifs chargés et parfois même dépassés, qui était sous les projecteurs l'an dernier, était encore et toujours de la partie cette année sur plusieurs stands, mais a clairement dû s'incliner face à l'esthétique plus calme mais toujours élégante du travertin. Parmi les tendances, le travertin a certainement constitué le fil conducteur de l'édition 2023. "Un peu comme le terrazzo auparavant, il était vraiment présent sur pratiquement tous les stands, et dans de plus en plus d'applications", confirme également Gabriele Garuti, responsable marketing chez Infinity.
Parmi les autres tendances, citons encore les reliefs en 3D. Ce n'est pas une innovation en soi, mais comme nous l'a confié Cristina Faedi, consultante en tendances dans le secteur du carrelage italien, "la technologie atteint des niveaux sans précédent, avec des trous et des veines qui paraissent désormais pratiquement plus vrais que nature." Le plus frappant, c'est que la technologie 3D était accrochée aux murs des stands dans un éventail de motifs et formats plus large que jamais. On a également pu constater que certains fabricants sont déjà plus avancés que d'autres au niveau de cette technologie d'imitation.
Une autre tendance, encore: les fabricants de carrelage se lancent sur le marché de l'aménagement de salles de bains. Si certains acteurs y créent des marques totalement nouvelles, d'autres élargissent leur gamme afin que les utilisateurs finaux puissent commander des lavabos prêts à l'emploi au sein d'une même maison, en plus de leurs revêtements muraux et de sol. Esthétiquement, la finition et la couleur sont les mêmes. Cette initiative semble s'inspirer du salon lui-même, qui met traditionnellement l'accent sur les accessoires de salle de bains. Quoi qu'il en soit, les fabricants du secteur du carrelage représentaient encore cette année la majorité des exposants - 57% pour être précis.
Tous les carreaux, petits et grands
Toujours aussi en forme comme depuis un petit temps d'ailleurs: les grands formats constituent un des protagonistes parmi les tendances. C'est même devenu le standard moderne. Mais on a remarqué cette année que les grands formats ont été abondamment rejoints par leurs opposés: les petits carreaux, souvent émaillés. Ils créent une ambiance rétro chaleureuse, un complément bienvenu aux nombreuses lignes organiques qui tentent de capter la mentalité écologique.
Les grands formats restent néanmoins un défi technique, auquel un praticien de la ville du carrelage a volontiers consacré un séminaire très fréquenté. L'innovation en matière d'outils chez Rubi a également été dominée par les grands formats. D'accord, mais d'un point de vue technique, quel est le prochain défi qui se profile à l'horizon? "Augmenter la résistance des carreaux céramiques", répond Joeri Liria, CEO de la marque d'outils Rubi. Cela améliorera la précision de la coupe et réduira les déchets."
Impossible également de ne pas constater cette année à Cersaie qu'économie rime aujourd'hui avec écologie. Avec un stand totalement respectueux de la planète, Iris Ceramica a marqué les esprits. Ce qui n'a rien d'étonnant vu que l'entreprise a dévoilé son usine de Castellerano qui sera la première à disposer de fours électriques fonctionnant à l'hydrogène vert dans le secteur de la céramique. "Chaque élément du stand a été conçu pour être réutilisable à 100%", explique Andreas Cirro, area manager. "Les carreaux ont même été fixés avec des aimants, afin de pouvoir ensuite les détacher en un clin d'œil."
Le secteur de la céramique est le plus gros investisseur
Cela illustre peut-être le solide engagement du secteur de la céramique en faveur de l'écologisation, de la décarbonisation et de la circularisation de son processus de production. Le directeur du développement durable de Confindustria nous a même donné les chiffres sans détour: "le secteur de la céramique investit 6,7% de son chiffre d'affaires dans la technologie et la production durables. C'est deux fois plus que le reste de l'industrie manufacturière italienne."
"Cette édition peut être considérée, dans l'ensemble, comme encourageante", confie Guy Royaux, CEO de Tyles. "On remarque surtout que les applications 3D et 4D commencent à faire leur apparition dans les gammes commerciales. Transmettre celles-ci aux professionnels dans notre showroom constituera un véritable défi!
Mais la baisse des ventes a aussi laissé des traces sur les 145.000 mètres carrés de surface d'exposition des 15 halls. La proposition tabou a même déjà été avancée lors de notre première visite de stand, chez Casalgrande. "Une fréquence biennale pour un salon comme celui-ci ne serait assurément pas illogique", avoue Benjamin Verheyen, agent pour la Belgique. Une idée aussi largement avancée dans les coulisses. Et il y a de quoi. Les nouvelles collections présentées à Cersaie ne seront commercialisées qu'au printemps suivant, alors que tout le monde attendra avec impatience la prochaine édition. Le chien n'essaie-t-il pas d'attraper sa queue?
"Pas du tout", a répondu M. Mussini pour conclure. "Si nous ne le faisons pas, quelqu'un d'autre s'engouffrera dans la brèche ainsi créée. Les développements esthétiques et technologiques sont suffisamment nombreux pour organiser un salon annuel."
Bref, Bologne vous donne rendez-vous en 2024!