Stratégies de vente et techniques de présentation du négoce de carrelage belge au 19ème et 20ème siècles
De nos jours, les catalogues commerciaux imprimés sont souvent remplacés par des catalogues digitaux avec des photos en couleur de qualité sur le web, de même que de réalisations in situ, ainsi que par des programmes de simulation en 3D qui donnent aux clients une impression de ‘ce à quoi ressemblera réellement leur projet’. À côté de cela, on consacre encore beaucoup d'attention – et d'argent – aux présentations modèles dans les salles d'exposition et sur les salons professionnels en tous genres. Comment ces présentations s’effectuaient-elles de par le passé? Y a-t-il des différences? Des questions intéressantes, qui méritent que nous y répondions au moyen du matériel visuel plutôt rare.
Au 19ème siècle, le nombre de fabriques belges produisant des carrelages de sol et muraux de façon industrielle a fortement augmenté. D'une poignée d'entreprises vers 1880, nous sommes passés en 20 ans à une quinzaine de fabriques, dont plusieurs très grandes entreprises dont la production journalière était énorme.
Quelques années après la création de Gilliot & Cie à Hemiksem en 1897-1898, la production y est rapidement passée de 50.000 à 90.000, puis 120.000 et 165.000 pièces par jour, pour finalement atteindre, dans les années 1910, une production journalière de pas moins de 250.000 pièces, dont 35.000 carreaux de sol, 135.000 carreaux muraux unis et 55.000 carreaux muraux décorés. Des chiffres qui frappent l'imagination. Comment ces énormes quantités étaient-elles commercialisées?
Investir dans les salles d'exposition
La concurrence entre les usines était féroce et la nécessité d'une bonne visibilité des carreaux de sol et muraux sur les marchés nationaux et étrangers exigeait une approche diversifiée.
Plusieurs fabricants, comme Boch Frères ou la Manufacture de Céramiques Décoratives de Hasselt, ont investi dans leurs propres salles d'exposition dans la capitale Bruxelles. Boch a également ouvert sa propre succursale dans la ville portuaire d'Anvers, afin de desservir le marché local et faciliter ses exportations. À côté de cela, l'entreprise disposait également d’un vaste siège administratif et d'un bureau de vente à Paris pour pénétrer le marché français avec sa propre production, ainsi qu’avec celle de sa société-mère Villeroy & Boch.
Bien que peu nombreux, les visuels disponibles de ces salles d'exposition permettent tout de même de se faire une assez bonne idée de l'ancienne méthode de présentation des différentes applications de carrelage. Chez Boch Frères à Bruxelles vers 1900, des panneaux muraux décoratifs étaient accrochés aux murs comme des tableaux dans des cadres en bois, ou intégrés dans le carrelage au-dessus du manteau de cheminée. Illustrant ainsi pour le client la valeur picturale et artistique de ces réalisations, qui étaient donc promues tant comme élément de décoration mobile que comme élément architectural de l'intérieur.
Les carreaux muraux étaient présentés dans de grands ensembles de lambris – courant du sol au plafond, avec généralement 5 ou 6 carreaux en largeur et 20 en hauteur, soit 75 à 90 cm sur 3 mètres – fixés aux murs tout autour de la salle d'exposition et séparés les uns des autres par une mince bande verticale de carreaux noirs unis. D'autres modèles étaient également présentés inclinés au centre de la pièce, sur une même largeur mais seulement avec une douzaine de carreaux (ou 180 cm) en hauteur. Les carreaux de sol étaient présentés à plat, dans de grandes zones légèrement surélevées, enserrées dans des cadres en bois, entre lesquelles les visiteurs pouvaient déambuler. Ici aussi, de nombreux motifs variés étaient présentés côte à côte. Les carreaux à motifs incrustés étaient présentés dans des ensembles carrés plus petits de 6 carreaux sur 6, avec des bords décoratifs larges et séparés les uns des autres par des bandes de carreaux unis. Donnant ainsi l’impression des tapis de carreaux de sol alors très populaires, qui étaient appliqués dans les intérieurs les plus représentatifs. Les motifs plus unis – considérés surtout comme la solution idéale pour les couloirs – étaient logiquement présentés en bandes un peu plus longues.
Des photos, datant de 1905, des salles d'exposition de la Maison Helman à Bruxelles spécialisée dans les panneaux décoratifs de carreaux, témoignent d’une approche analogue: certains panneaux étaient enserrés dans des cadres en bois, d'autres étaient intégrés dans des ensembles de lambris hauts et relativement étroits. Nous pouvons donc supposer qu'il s'agissait d'une forme de présentation couramment utilisée à l'époque.
On retrouve une structure analogue de plans très variés présentés rythmiquement les uns à côté des autres – tant aux murs et cloisons qu'intégrés dans le sol, présentés en partie droits et en partie légèrement inclinés – jusque dans les années 1930. Un exemple exceptionnel peut encore aujourd’hui être admiré in situ dans le négoce de carrelage Boudolf, situé dans la Vaartstraat à Gistel (Flandre occidentale). La splendide salle d'exposition des années 1920-1930 – élevée à juste titre au rang de monument classé – y a été conservée en grande partie intacte.
Autres canaux de vente
Afin de toucher un public le plus large possible, la plupart des fabricants de carrelage collaboraient, en exclusivité ou non, avec des grossistes généralistes en matériaux de construction, avec des agences d'exportation spécialisées situées à proximité du port d'Anvers ainsi qu’avec des représentants nationaux et étrangers. Ils veillaient également à ce que leurs produits soient visibles dans des collections comme celles de l'ancien Musée de l’industrie à Bruxelles ou du Musée des produits commerçables de l’Institut supérieur de commerce d’Anvers, situé au 36 De Vrièrestraat, où les clients pouvaient aller les examiner. La magnifique maquette de présentation de la Manufacture de Céramiques Décoratives de Hasselt pour le Musée des produits commerçables d'Anvers, conservée jusqu'à ce jour et qui donne un aperçu de la diversité des carreaux et de la céramique de construction produits par cette usine de céramique, en constitue un témoignage exceptionnel.
Les grands fabricants disposaient également d'un réseau domestique assez dense de carreleurs qui fournissaient leurs produits – également en exclusivité ou non – aux clients dans les petites villes et même les villages. Dans leurs vitrines et à l'intérieur des magasins, les passants pouvaient découvrir, dans une certaine mesure, la richesse des couleurs et modèles proposés, tandis que les façades carrelées du magasin lui-même donnaient parfois un aperçu des nombreuses possibilités qu'offrent les carreaux céramiques.
Certains fabricants et carreleurs marquaient également les façades privées et les panneaux décoratifs de carreaux du nom de leur entreprise. Dans les façades, cela s’effectuait sous la forme de carreaux nominatifs spécialement fabriqués à cet effet, que l'on retrouve encore aujourd'hui disséminés dans les rues des villes et villages à travers tout le pays. Il s’agissait souvent uniquement du nom du carreleur, parfois également accompagné de celui du fabricant.
Foires et expositions
L'industrie belge du carrelage était également très active sur les foires et expositions. Principalement, au début, sur les nombreuses expositions internationales et mondiales qui se sont succédé rapidement de 1852 à 1958, avec des interruptions plus longues lors des deux guerres mondiales.
Sur les expositions mondiales prestigieuses, où l'objectif était de décrocher des distinctions officielles, les entreprises belges tentaient d'attirer l'attention avec des stands voyants de conception propre. De nombreux exemples ont été conservés sous forme de photos dans des rapports et des publications pour l’occasion ainsi que sous forme de cartes postales publicitaires. Les fabricants essayaient généralement de présenter la diversité de leur propre production de façon la plus large possible sur une superficie assez restreinte dans le pavillon commun attribué à la Belgique. Dans ce contexte, le stand de la Maison Helman à l'Exposition universelle de Liège en 1905, avec lequel l'entreprise a décroché le très convoité ‘grand prix’, peut être qualifié d’exemplaire. Après la Première Guerre Mondiale, plusieurs entreprises se sont fait remarquer à l’international avec des pavillons propres voyants, comme ceux des Manufactures de Céramiques d’Hemixem, Gilliot & Cie ou le pavillon commun d’Helman et la S.A. La Céramique Nationale de Welckenraedt à l’Exposition universelle de Bruxelles en 1935. Ces pavillons propres restaient cependant de grandes exceptions.
A partir des années 1920 surtout, les fabricants participaient non seulement aux grandes expositions mondiales, mais aussi, de plus en plus, à des foires commerciales et salons professionnels plus petits et spécialisés. Ces derniers ont progressivement pris une grande importance à partir des années 1950, avec des salons propres à la Belgique au Bouwcentrum d'Anvers (à partir de 1958), le salon de la construction Batibouw à Bruxelles (à partir de 1960) et, plus tard, la Biennale Interieur à Courtrai (à partir de 1968), où le grand public pouvait et peut encore aujourd’hui découvrir, à intervalles réguliers, les dernières nouvelles tendances en matière de construction et d'aménagement intérieur.
À côté de cela, les grands fabricants belges participaient également à des salons professionnels ou foires à l'étranger, souvent avec un stand collectif. On retrouve notamment, dans les archives photographiques des Manufactures de Céramiques d'Hemixem, des photos de foires commerciales en 1952 avec la Fédération des Industries Céramiques de Belgique à Toronto (Canada), en 1952 à Izmir (Turquie), en 1953 au Congo belge, en 1962, 1966 et 1968 au Salon de la Céramique de Lille (France), en 1963 (stand CéramExport) et en 1965 à Batimat à Paris (France). Les stands arboraient souvent un design très moderne. Même si les carreaux exposés l’étaient généralement beaucoup moins. On remarque ainsi des stands aux murs entièrement revêtus de carreaux dans le style traditionnel Bleu de Delft, accompagnés d’une sélection issue de la gamme de carreaux décoratifs qui s’était fortement réduite entre-temps et qui étaient souvent aussi dans un style plus traditionnel, complétaient eux-mêmes l'offre plus moderne qui a inondé le marché belge à partir de pays producteurs meilleur marché comme l'Italie, l'Espagne ou la Tchéquie.
C’était la fin d'une époque.
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