Ouverture de magasin perturbée par une fuite d'eau sous le carrelage
Une structure douteuse
Un jeune maître d'ouvrage a fait appel à une entreprise générale pour rapidement le bien commercial qu'il venait d'acquérir. Il a choisi des carreaux céramiques haut de gamme de 80 cm x 80 cm x 10 mm, à poser sur une chape existante sur laquelle avait jadis été posés des carreaux céramiques pleine masse de 30 x 30 cm. Si l'enlèvement des anciens carreaux dits 'de garage' a été aisé, les résidus de colle tenaces dans la chape ont par contre posé un problème inattendu. Il a fallu louer une ponceuse pour rendre au sol sa planéité, ce qui a pris pas mal de temps et a perturbé le planning.
Sous la pression, le carreleur a décidé de procéder à un ponçage superficiel afin de gagner du temps. Il a posé les nouveaux carreaux sur les résidus de colle, en utilisant de la colle ci et là pour compenser les différences de hauteur. Finalement, sa dernière rangée de carreaux dépassait le seuil de la porte d'entrée d'un demi-centimètre. Comme 'solution', il a utilisé un profilé de finition 'spécial', même si cette approche n'était manifestement pas idéale.
Odeur d'humidité gênante
Environ une semaine après avoir rejointoyé le carrelage, des colorations suspectes sont apparues dans les joints des carreaux à certains endroits. L'entrepreneur s'est contenté de dire que c'était dû au fait que la surface commerciale n'était pas chauffée, ralentissant ainsi le processus de séchage. Selon lui, les taches sur les joints au ciment disparaîtraient d'elles-mêmes. Cependant, une odeur d'humidité persistante a éveillé les soupçons. Vu que les conduites d'eau avaient été récemment renouvelées et qu'un ancien siphon de sol avait été retiré, on a soupçonné des fuites.
Le maître d'ouvrage a insisté afin que l'entrepreneur principal procède à des mesures d'humidité. Celles-ci ont révélé des taux d'humidité extrêmement élevés, en particulier autour des conduites d'eau renouvelées. À l'endroit où l'odeur était la plus forte, un carreau sonnait même creux. Une inspection plus poussée a révélé plusieurs zones creuses sous les carreaux. Finalement, on n'a pas eu d'autre choix que de casser plusieurs rangées de carreaux aux endroits où les taux d'humidité étaient les plus élevés afin de détecter la fuite présumée. Ce n'était que le début d'une série de problèmes imprévus et de nombreux soucis.
Discussion finale
En retirant le premier carreau rénové, le propriétaire a été surpris de constater qu'il n'y avait pas de traces de colle sur la face inférieure. De plus, l'ancien siphon de sol avait été simplement recouvert d'un carreau, sans étanchéité adéquate, ce qui expliquait l'odeur suspecte. Les stries de colle visibles sur le support montraient que les résidus de colle n'avaient pas été éliminés de façon adéquate. Il était même possible de détacher les carreaux suivants sans outils.
Pour le maître d'ouvrage, il était temps de tirer la sonnette d'alarme. Après une série d'échanges de courriels et après avoir consulté des conseillers et des experts externes, la situation a débouché sur une expertise judiciaire. Au cours de l'examen, il s'est avéré que la partie réparée du sol avait été égalisée avec une chape coulée à base de sulfate de calcium (anhydrite). Des doutes ont germé quant au séchage suffisant de celle-ci (taux d'humidité résiduelle de maximum 0,5% pour les sols non-chauffés) et à l'utilisation d'une colle à carrelage appropriée. Il n'était pas non plus certain que le support ait été enduit d'un apprêt au préalable, une question à laquelle même l'expert n'a pas pu obtenir de réponse claire. Le début d'une situation complexe qui allait exiger une inspection plus approfondie.
La NIT 237 de Buildwise (anciennement CSTC) indique au chapitre 4.1.2 'Chape à baser d'anhydrite': "Toutefois, si la surface est mise en contact avec un mortier ou un mortier-colle à base de ciment, une formation d’ettringite (Ca6 Al2 (SO4 ) 3 (OH)12 . 26 H2 O) est possible par réaction des composés alumineux du ciment avec le CaSO4 (figure 22). L’ettringite cristallise sous forme de petites aiguilles prismatiques qui donnent à la pâte de ciment une certaine consistance et contribuent au développement de la résistance initiale. Sa formation est cependant expansive, ce qui n’est pas gênant dans une pâte de consistance plastique, mais peut mener à des dégradations − telles qu’un décollement du revêtement − lorsqu’elle survient dans un mortier de ciment déjà durci. Il est dès lors conseillé de n’utiliser que des produits de pose recommandés par le fabricant de la chape et de la colle." (1)
L'expert judiciaire a rencontré un deuxième problème: une différence de hauteur d'environ 5 millimètres à la jonction avec le seuil de la porte d'entrée. Cela a directement fait 'tilt' dans son esprit. Cette différence semblait due à l'élimination négligée des anciens résidus de colle à carrelage et de mortier. Ce soupçon a été confirmé lorsqu'il s'est avéré que l'épaisseur des résidus de colle restants dépassait même un centimètre à certains endroits!
Au niveau de cette même porte d'entrée, l'expert a également observé un interstice cunéiforme voyant, qu'il a jugé inacceptable du point de vue tant technique qu'esthétique. L'expert a également cherché à savoir su une bande périphérique ou un joint élastique était présent autour du carrelage pour permettre à celui-ci de travailler librement. Vous l'aurez deviné: il s'est avéré que certains carreaux étaient littéralement collés contre les murs.
Il est essentiel que les joints périphériques (isolation des bords) et les joints de répartition se prolongent toujours sous les ouvertures de porte. Cela permet d'éviter les surcharges de tensions sur des zones limitées, pouvant entraîner la détérioration des joints ou le décollement de zones carrelées.
Référons-nous à nouveau à la NIT 237 de Buildwise :"La largeur des joints de mouvement dépend de l'amplitude des mouvements thermiques qu'ils doivent absorber (voir tableau 4, p. 21). En effet, il faut s'assurer que les mouvements thermiques potentiels des joints ne dépassent pas le facteur d'amplitude du mastic utilisé. Sur la base des superficies recommandées dans cette NIT et en tenant compte d'un mastic doté d'un facteur d'amplitude de 25%, la largeur des joints de mouvement devrait normalement être comprise entre 8 et 12 mm en cas de finition du sol au moyen de carreaux céramiques..."
La largeur des joints s'avérait également problématique: ils étaient trop étroits. Les mesures ont montré que les joints mesuraient en moyenne seulement 2 millimètres de large. Lors de l'utilisation de carreaux grands formats, il est fortement recommandé que les joints au ciment présentent une largeur de minimum 3 millimètres.
Au chapitre ‘Joints’ du dossier 2015/2.11 de Buildwise, on peut lire: "Plus les carreaux sont grands, moins la surface carrelée présentera de joints. Il est toutefois évident que tous les joints de structure présents dans le support doivent être prolongés dans le dallage (voir Infofiche 46 [7]). La largeur de ces derniers doit au moins être équivalente au double de la tolérance sur les dimensions des carreaux, avec un minimum de 3 mm. Enfin, il est recommandé d’utiliser un mortier de jointoiement de type CG2, adapté selon sa fiche technique à ce champ d’application."
Système de nivellement avec d'anciennes cales
Dans ce projet, un système de nivellement avec des cales a été utilisé pour déterminer la largeur des joints et assurer la mise de niveau des carreaux adjacents. Bien que l'utilisation de ces systèmes soit autorisée, il est essentiel que la base en plastique soit entièrement enfoncée dans la colle. En outre, la mise en place des carreaux ne doit pas entraîner une surélévation trop importante afin d'éviter toute rupture dans la colle à carrelage pendant la prise et le durcissement.
Il convient de noter que pour ce chantier avaient été utilisées de vieilles cales réutilisées. L'efficacité de celles-ci était discutable, vu que les stries en partie supérieure, qui servent de frein, étaient totalement usées.
Un examen destructif supplémentaire sur place a montré que la méthode du buttering-floating (ou double encollage) n'avait pas du tout été appliquée, ni parallèlement ni perpendiculairement (***).
En outre, l'expert a constaté que le peigne à colle utilisé n'était pas suffisant pour assurer un transfert suffisant entre le support et la face de pose du carreau, d'autant plus qu'un système de nivellement avait été utilisé et que les bases en plastique n'avaient pas été entièrement enfoncés dans la colle. Certains carreaux ne présentaient même aucune de trace de colle!
Citons encore le Chapitre 6 POSE DU CARRELAGE / B. Pose en double encollage de cette même NIT 237: "La pose en double encollage (floating buttering) consiste à appliquer le mortier-colle d’abord sur le support (floating), puis au dos du carreau à l’aide d’une spatule lisse ou dentelée (buttering). Si l’on opte pour une spatule dentelée, il y a lieu d’adapter le type de peigne au format du carreau (plus le format est grand, plus la dentelure doit être large)."
Les problèmes les plus évidents constatés lors de cet examen auraient pu être facilement évités. Voici cinq solutions techniques simples:
- Mesurer l'humidité de la chape à base de sulfate de calcium avant les travaux de réparation aurait permis d'éviter les ruptures entre les couches et les problèmes de durcissement de la colle à carrelage.
- Si les anciennes stries et anciens points de colle avaient été soigneusement éliminés, le sol aurait pu se raccorder sans problème au seuil de la porte d'entrée.
- L'important interstice cunéiforme aurait pu être évité en déplaçant légèrement le carrelage. Ce problème aurait pu être résolu grâce à un plan de pose adéquat.
- Il est recommandé de placer une bande d'isolation de minimum 5 millimètres autour de tous les éléments (de mur) fixes afin d'éviter que les carreaux ne 'se bloquent'.
- Un système de nivellement est destiné à apporter de petites corrections de niveau, et non à compenser de grandes différences. En outre, les systèmes de cales doivent être intacts afin d'exclure tout mouvement ultérieur.
Telle a été la conclusion de l'expert judiciaire: "notre option objective consiste à reposer totalement les carreaux de sol dans tout l'espace."
En d'autres termes, le travail devait être refait, correctement et dans les règles de l'art, en tenant compte de l'avancée des sciences et techniques ainsi que des usages du métier.
(***) Sans chauffage par le sol, la technique du double encollage peut être appliquée de façon croisée, pour autant que soit atteint un transfert entre la face de pose du carreau et le support d'au moins 70% (selon la NIT 237 de Buildwise) et même de 80% selon de la surface du carreau/substrat soit réalisé, selon le nouveau manuel 'Le Carreleur' de Constructiv.
Sur une chape chauffée, il faut toujours aspirer à un transfert de 100% et appliquer la technique du double encollage parallèle (enfoncer les carreaux perpendiculairement aux stries de colle dans le même sens) afin d'éviter autant que possible les bulles d'air. L'air est en effet un isolant et, de plus, il la colle à carrelage ne peut pas être présente là où des bulles d'air se sont formées...
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