Faut-il utiliser une natte de désolidarisation ou non pour poser des carreaux grands formats?
Fonctionnement d'un système de désolidarisation
Désolidariser un plancher signifie que les carreaux devront pouvoir bouger indépendamment du support sur lequel ils ont été posés. En d'autres termes, la fonction principale de la natte de désolidarisation consiste à séparer les mouvements (lire: les champs de tension) pouvant se manifester entre le support et le revêtement carrelé.
Lors des phases de séchage (contraintes de retrait) ou des fluctuations de température (contraintes de cisaillement thermique) par exemple, plusieurs couches de la structure se déformeront inévitablement de façon différente les unes par rapport aux autres. Chaque couche de la structure d’un plancher a en effet son propre coefficient de dilatation, typique du matériau employé. Cela signifie que chaque couche de la structure se comportera non seulement différemment durant le processus de prise et de durcissement, mais que celle-ci, après durcissement complet, se dilatera ou se rétractera aussi différemment en cas de changements des circonstances.
La solution? Poser préalablement une natte de désolidarisation, car celle-ci aura principalement une fonction de pontage des fissures. Lorsque les contraintes dans le complexe de plancher peuvent être très élevées, il sera conseillé de prendre les mesures nécessaires. Une pose trop rapide des carreaux sur une chape au ciment, les poses sur des chapes chauffantes, l'ensoleillement d’un plancher au niveau des baies vitrées, la construction d’une terrasse, etc., pourront entraîner la formation de fissures (in)attendues dans le carrelage.
Carreaux qui se décollent
La plupart des conseillers recommanderont dans ces cas l'utilisation d'une natte de désolidarisation. En particulier sur du chauffage par le sol, les carreaux se dilateront temporairement durant la phase de montée en température, ce qui provoquera des contraintes dans le revêtement de finition. Ce qui pourra, à terme, se traduire par l’apparition de sons creux ou une dégradation des joints. Des carreaux pourront même se décoller complètement, voire se fissurer ou se briser. Cela se produira surtout lorsqu'ils ont été collés directement sur la chape. Et plus leur format sera grand, plus le risque de dommages sera élevé – les joints permettant de répartir les champs de tension seront en effet moins nombreux.
De plus, les clients aspirent à des joints (trop) étroits, souvent disproportionnés par rapport au format des carreaux. Selon les spécialistes, le carreleur pourra exclure en grande partie, voire complètement, de tels dommages en utilisant une natte de désolidarisation. Qu’il posera directement sous les carreaux. Cependant, la question est de savoir dans quelle mesure l'exactitude de cette affirmation a été scientifiquement et techniquement démontrée.
Nattes de désolidarisation, que savons-nous aujourd'hui?
Pour ce qui qui concerne le domaine d’application des nattes de désolidarisation, Buildwise écrivait dans un ancien CSTC-Contact (2018/4): "Il est recommandé d’utiliser ce type de nattes lorsque les contraintes dans le complexe de plancher peuvent être très élevées. C’est notamment le cas lors de la pose de carreaux de très grand format, de la mise en œuvre précoce du revêtement, de la présence d’un chauffage par le sol ou de l’utilisation de carreaux foncés à l’extérieur dans une zone fortement ensoleillée.
La propriété essentielle de la natte est évidemment sa fonction de désolidarisation, grâce à laquelle les contraintes, les déformations horizontales et verticales et les vibrations ne sont que partiellement (voire pas du tout) transférées de la chape au sol carrelé, ce qui réduit le risque de fissuration et/ou de décollement du revêtement..
L'utilisation d'une natte de désolidarisation constitue-t-elle la seule option?
Les doutes quant au ‘mal nécessaire’ d'agrémenter automatiquement les carrelages XXL d'une natte de désolidarisation ne cessent d’augmenter, tant chez les négociants en carrelage que chez les carreleurs. Quand on jette un œil aux Pays-Bas, on constate que les systèmes de désolidarisation y sont très peu utilisés! Et le nombre de problèmes après la pose de carreaux grands formats n'est pas plus élevé qu'en Belgique!
Second constat remarquable: les explications de certains fabricants de colles et systèmes se contredisent. Cela s’explique par le fait qu'il n'existe pas non plus de norme spécifique obligeant l’utilisation de nattes de désolidarisation lors de la pose de carreaux grands formats.
Pourtant, l'utilisation d'un système de désolidarisation pourrait réduire drastiquement le risque de problèmes. Le prix associé à ces systèmes constitue souvent le plus gros souci. Non seulement le matériau mais aussi sa pose représentent un coût supplémentaire non négligeable au mètre carré... Il sera donc conseillé d'examiner, en fonction des circonstances sur place, s'il sera nécessaire ou non d'utiliser un système de désolidarisation. Objectivement, l'aspect technique devrait primer sur l'aspect commercial. Autre chose: de plus en plus de fabricants de colles proposent des colles à carrelage qui remplacent la natte de désolidarisation. Quel est leur secret? Il n’existe en effet pas de colles à carrelage à action désolidarisante. Comment, dès lors, une colle à carrelage pourrait-elle remplacer une natte de désolidarisation et offrir les mêmes garanties?
Comment poser correctement une natte de désolidarisation?
Il convient en premier lieu de déterminer le type de support et de contrôler sa planéité (voire procéder à l’égalisation de celui-ci si nécessaire), sa stabilité, sa dureté (le taux d'humidité résiduelle doit être inférieur à 2,5% sans chauffage par le sol et inférieur à 2% avec chauffage par le sol) ainsi que sa propreté. Pour cette dernière, un support totalement dépoussiéré revêtira la plus haute importance. Brosser la poussière ou les autres résidus avec un balai ne suffira pas. L'aspiration s’avèrera plus efficace pour nettoyer la chape, éventuellement en éliminant les dernières impuretés avec une éponge semi-humide.
Il faudra en outre veiller à ce que les éléments fixes tels que murs et colonnes soient pourvus d'une bande d’isolation périphérique suffisamment épaisse. Cela empêchera de bloquer les plans de sol – et, par conséquent, de créer des contraintes inutiles. De plus, la présence de bandes périphériques permettra d’éviter les ponts de contact. Il suffit de penser aux immeubles à appartements où les bandes d’isolation ont été coupées trop tôt voire même complètement retirées, avec tous les bruits indésirables que cela implique.
Après avoir totalement nettoyé le support sur lequel le carreleur installera le système de désolidarisation, celui-ci devra encoller le support uniformément et de façon rectiligne dans le même sens au moyen d’une colle adaptée (compatible avec l’intissé au dos de la natte) et d’un peigne à colle adapté (généralement 4 x 4 mm). Il sera ici fortement recommandé de gratter préalablement la chape afin d’assurer la bonne adhérence de la natte.
Trois méthodes permettent d’appliquer une natte de désolidarisation:
- Comprimer fermement la natte dans le lit de colle avec une spatule pour joints.
- Rouler la natte avec un rouleau approprié. Celui-ci pourra être lesté, par exemple, avec un sac de colle à carrelage.
- Vibrer la natte avec une plaque vibrante pour carrelage à bas régime.
Pour chacune de ces trois méthodes, il sera important de comprimer la natte côté intissé dans le sens des stries de colle. Cela évitera la formation de bulles d’air ennuyeuses. Parce que, qui dit présence d’air, dit absence de colle. Et qui dit absence de colle, dit évidemment absence d'adhérence...
Lors du collage des carreaux également, la structure superficielle de la natte de désolidarisation devra d'abord être totalement saturée de colle à carrelage (avec le côté plat du peigne à colle) avant d'appliquer les stries de colles définitives. Ici aussi, il importera que les carreaux et la natte présentent une surface de contact optimale.
Surtout en cas de chauffage par le sol, il sera préférable d’aspirer à une surface de contact de 100% (dans la pratique, une surface de contact de 90% sera plus réaliste). Autre élément important encore: il sera également préférable que la natte de désolidarisation soit interrompue à hauteur des joints de fractionnement dans la chape, sauf instruction contraire du fabricant concerné!
Cas d'expertise
Polycaro a été convié à une expertise dans le Brabant wallon où un carrelage intérieur dans un cabinet d'ophtalmologie, constitué de carreaux grands formats minces, présentait des fissures ci et là. Selon les informations de l'architecte, le plancher présentait la structure suivante:
- ± 10 cm d'isolation PUR au rez-de-chaussée et ± 5 cm au premier étage.
- Un circuit de chauffage par le sol traditionnel.
- Une chape de ± 10 cm d'épaisseur avec treillis d'armature 50/50/2.
- Une natte de désolidarisation multicouche.
- Un lot d'un peu moins de 200 m² de carreaux céramiques au format 100/100/0,6 cm, de type 'BIa UGL' (un carreau pressé arborant un coefficient d'absorption d'eau inférieur à 0,5%, non émaillé) sur un lit durci de colle à carrelage à base de ciment.
Après avoir glané davantage d'informations, il n'était pas possible de démontrer que le protocole de mise en service du chauffage par le sol avait été respecté. Pour n'importe quel type et format de carrelage, le chauffage par le sol doit en effet toujours être démarré selon le protocole de mise en service habituel avant le début de toute activité de carrelage. L'objectif consiste ici à éviter des dommages directs consécutifs aux contraintes thermiques dans la structure du plancher.
Que dit Buildwise?
Le magazine 1989-4.4 de Buildwise (l'ancien CSTC ou Centre Scientifique et Technique de la Construction) mentionne les directives suivantes: “La mise en service du chauffage s’effectuera en élevant systématiquement la température de 5 K/24h, depuis l'état froid jusqu’à la température de fonctionnement maximale de l'élément de chauffe. Cette température doit être inférieure à la température maximale admise pour les liants utilisés dans la chape. Le retour à la température initiale se fera également de manière progressive, c'est-à-dire à raison de 5 K par 24h. La température de fonctionnement maximale prévue sera maintenue pendant 3 jours minimum, afin de conférer à la chape sa capacité de mouvement maximale avant de poser le revêtement de sol.”
En outre, l’infofiche 59 (09/2012) indique: "Afin d'éviter de plus grandes contraintes thermiques lors de la mise en service du système de chauffage par le sol, la montée en température doit s'opérer progressivement (par palier de 5 °C par jour afin de limiter ΔT). Le schéma de cette opération fourni par le fabricant du système de chauffage par le sol doit donc être respecté à la lettre. "De plus, il est conseillé de mettre le système de chauffage en route une première fois et de le laisser refroidir avant la pose du carrelage."
Suspectant le non-respect de cette règle, l'expert a contrôlé les carreaux un par un pour détecter d'éventuels sons creux. Ce test de base a permis de déduire qu'au moins la moitié des carreaux présentaient clairement des cavités sous-jacentes. Un résultat inquiétant qui a immédiatement incité à ordonner un examen destructif.
Un taux d'humidité résiduelle 'théoriquement impossible'
Après avoir retiré un carreau fissuré, l’expert a commencé à y voir plus clair. Et à la surprise générale, sachant que la chape au ciment avait eu un mois pour durcir avant la pose des carreaux, l'expert de service a tout de même instinctivement procédé à un mesurage de l’humidité résiduelle. Qu’a-t-il constaté? Sous la natte de désolidarisation, qui s’arrachait facilement, a été mesuré un taux d’humidité résiduelle d'environ 90%! ‘C’est théoriquement impossible’, ont déclaré les diverses parties présentes.
Au début, ils ont pensé à une fuite au niveau des tuyaux. Mais il était pratiquement impossible que le même phénomène se produise à la fois au rez-de-chaussée et à l'étage, d'autant plus que les tuyaux avaient été testés sous pression au préalable. Après avoir retiré un bout de colle à carrelage durcie et un bout du mortier de chape, les experts ont constaté que l'humidité résiduelle diminuait avec la profondeur. Et sachant que la plupart des types de nattes de désolidarisation constituées de polypropylène ont également une propriété imperméable, la piste de réflexion s’est plutôt orientée vers une chape encore trop humide à l’entame des travaux de carrelage, l’humidité résiduelle de la chape ayant été ‘piégée’ entre la natte et l'écran isolant.
Une humidité prolongée peut provoquer une réaction négative sur la colle à carrelage, les particules (sable, ciment et résines synthétiques) n'ayant aucune chance de se lier à temps, et encore moins de durcir partout simultanément. Peut-être a-t-on dès lors utilisé une colle à carrelage non adaptée (lisez: à modification synthétique insuffisante) qui n’était pas compatible, notamment, avec l’intissé au dos de la natte? Ou peut-être que la procédure de gâchage n’avait pas été respecté? Ou que le temps d'ouverture avait expiré? Ou que le carreleur avait utilisé un format de peigne à colle inapproprié?
Conclusions provisoires
Après une première réflexion, l'expert de service a tiré les conclusions provisoires suivantes:
- Selon la chronologie de l'architecte, vu l'épaisseur réelle de la chape, celle-ci n'aurait pas été suffisamment sèche à l’entame des travaux de carrelage. Une mesure préalable de l'humidité n'a pas non plus été effectuée (maximum 2% en cas de chauffage par le sol).
- Le chauffage par le sol n'a probablement pas été mis en service avant le début des travaux de carrelage. On ne sait pas non plus clairement si le chauffage par le sol a été activé conformément à la procédure de mise en route habituelle lors de la mise en service du plancher.
- Il n'y a aucune certitude que tous les joints de dilatation dans le carrelage aient été réalisés parfaitement au bon endroit conformément au circuit de chauffage par le sol de la chape.
- Les pièces découpées n'ont pas été mises en œuvre sans contrainte (pas de perçages préalables des angles).
- Différentes marques ont été utilisées pour la colle à carrelage et le mortier de jointoiement. Il ne s’agit pas directement d’une remarque pertinente, mais la procédure standard veut qu’un carreleur professionnel utilisera toujours du matériel du même fournisseur et fabricant afin de garantir la compatibilité de tous les composants et ainsi éviter d'éventuelles réactions négatives.
- Les stries de colle restantes montraient qu’un peigne à colle trop petit avait été utilisé pour coller les carreaux sur la natte de désolidarisation. Le transfert de colle limité résultait non seulement de la trop faible compression des carreaux durant la pose, mais aussi d'une masse de colle insuffisante pour assurer la résistance à la traction.
- Il y a aussi une réelle possibilité que le ‘temps ouvert’ de la colle à carrelage ait expiré, tant au moment de la pose de la natte de désolidarisation sur la chape que lors de la compression des carreaux sur cette dernière.
- Il n'a pas été démontré ni confirmé que l'eau de gâchage de la colle à carrelage utilisée a été dosée conformément aux directives du fabricant. Lorsque l’expert lui a demandé s’il avait utilisé un gobelet doseur pour gâcher la colle à carrelage, le carreleur n'a pas pu répondre de façon convaincante. Si nécessaire, cela pourrait être vérifié en prélevant un échantillon pour procéder à des recherches en laboratoire.
Une position inconfortable pour le carreleur
Incapable de donner des réponses concluantes à des questions cruciales, le carreleur concerné se retrouve dans une position inconfortable. Des possibilités de réparation sont actuellement encore envisagées car, dans ce cabinet d’ophtalmologie où travaillent plusieurs médecins, il faudrait réaliser des travaux totalement sans poussière.
Recarreler l’ensemble de l’espace n’est pas souhaitable, d'autant plus que cela pourrait impliquer un montant à payer énorme en raison de la fermeture et évacuation forcées du cabinet pendant les activités de renouvellement de l'ensemble de la structure du plancher. La question reste donc de savoir comment réparer la natte de désolidarisation de même que les carreaux de sol aux endroits ‘faibles’ sans devoir tout démolir?
En tout cas, l'expert n'avait pas l'intention de faire pendre l'épée de Damoclès uniquement au-dessus de la tête du carreleur concerné. L'architecte chargé de la supervision, l’agenceur d’intérieur et l'installateur du système de chauffage par le sol ont également été rappelés à l’ordre.
Conseil: n'encollez pas de trop grandes surfaces en une seule fois
En période estivale surtout, le risque qu’expire le 'temps ouvert’ de la colle (c’est-à-dire le temps entre la réalisation des stries de colle et l’application des carreaux, soit plus de 20 minutes) sera très élevé, en partie en raison de la capacité d'absorption du type de support. En cas d’expiration du temps ouvert de la colle à carrelage (visible à la décoloration de la partie supérieure des stries de colle), la masse de colle devra être retirée et il faudra appliquer une toute nouvelle couche!
Pour les travaux de pose sur des supports plus poreux, il sera même conseillé de prévoir un primaire et d'utiliser une colle à prise plus rapide. Soyez toutefois prudent lorsque vous utilisez des colles F(ast): prévoyez suffisamment de temps pour placer la natte de désolidarisation dans le lit de colle fraîche sans perturber le ‘temps d'ouverture’.
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