La génération actuelle des carreaux céramiques ne s’use-t-elle vraiment plus jamais de façon prématurée?
Le carreleur avait posé des carreaux céramiques espagnols de 100 x 100 cm sur une chape durcie. Lors de la réunion avec toutes les parties concernées (maître d’ouvrage, fournisseur et fabricant), il a expliqué à l'expert qu'il avait respecté tous les critères de contrôle et n'avait constaté aucun défaut lors de la pose.
Un vrai billard
La chape était parfaitement plane selon les directives préconisées par Buildwise (l’ancien CSTC). La tolérance normale au niveau de la planéité des chapes est encore et toujours de 4 millimètres sous une latte droite de 2 mètres. Le carreleur en question avait même réalisé une finition encore plus précise, inférieure à la tolérance la plus sévère de 3 millimètres.
Aucune anomalie n’avait non plus été décelée lors du contrôle de la planéité entre carreaux contigus collés sur cette chape. Le carreleur avait indiqué qu'il avait utilisé un système de nivellement pour s'assurer que tous les carreaux contigus étaient posés à la même hauteur "Vous pouvez faire rouler une bille sur ceux-ci, elle ne sautera pas", s'était défendu le carreleur.
Il était donc impossible que les taches mates sur les carreaux de sol résultent d'un collage douteux. Il peut en effet parfois arriver que des carreaux posés un peu trop haut par rapport à d'autres zones entraînent une charge de frottement plus importante susceptible de causer des dommages. Les questions posées quant à l'entretien du sol et aux produits utilisés à cet effet n’ont pas non plus révélé des causes susceptibles d’être responsables de ce phénomène. Il y avait donc autre chose.
La fiche technique en dit long
L'expert a remarqué que les taches mates mentionnées étaient les plus visibles dans les zones de passage et surtout sous la table de la cuisine. Était-il possible que certaines productions de carreaux céramiques, bien que fabriquées avec les dernières technologies, puissent présenter des phénomènes d'usure prématurés?
Dans ce cas spécifique, il s'agissait d'une pose non-industrielle. En d'autres termes, un carrelage dans une habitation privée où aucune contrainte extrême n'était escomptée. Il fallait donc chercher dans une direction totalement différente. L’expert a dès lors demandé le ‘passeport’ du carrelage posé. Les propriétés techniques spécifiées par le fabricant peuvent parfois s’avérer éclairantes quant au champ d’application approprié du carrelage concerné. Et qu’a constaté l’expert? La fiche technique indiquait tant une valeur PEI de 4 qu’une valeur de 9 sur l'échelle de Mohs. Sachant que la résistance à l'abrasion des carreaux émaillés est contrôlée au moyen du test PEI (aujourd'hui également de plus en plus via le test Capon) et que le test de résistance aux rayures n'est généralement effectué que sur les carreaux en céramique pleine masse, l'expert se posait tout de même quelques questions.
S'agissait-il ici d'une livraison de carreaux émaillés ou de carreaux cuits pleine masse? Sachant que le diamant obtient une note de 10/10, on peut affirmer que la valeur Mohs renseignée par la fiche technique du fabricant, à savoir 9, était extrêmement élevée.
Jeter un œil aux emballages des carreaux aurait été le seul moyen pour en avoir la certitude, mais plus aucun emballage ni carton résiduel n’était disponible. Ce qui n’allait pas faciliter l'analyse. Soudain, le carreleur a indiqué qu'il possédait peut-être encore un morceau de carreau dans son atelier. On se rapprochait donc de la réponse à la question clé: "s'agit-il ici d'un carrelage céramique pleine masse ou non?".
L'analyse du carreau a permis de faire la clarté à 100%
Selon l'expert, un reste de carreau allait pouvoir s’avérer d’une grande aide pour l'expertise. Et en effet, un grand morceau de carreau résiduel a clairement montré que le corps du carreau était constitué de deux couches: une base épaisse en céramique surmontée d’une fine couche d'usure. On ne pouvait donc pas parler ici d'un ‘carreau céramique pleine masse’. L'expert devait partir du principe que la valeur PEI (conformément à la norme d'essai EN-ISO 10545-7) ou éventuellement le résultat de l'essai Capon (conformément à la norme d’essai EN-ISO 10545-6, auparavant d’application uniquement sur les carreaux non-émaillés), qui indiquait une entaille de ≤ 135 mm³ (cette norme stipulant un maximum de 175 mm³), étaient ici valables.
Mais ces informations supplémentaires n’expliquaient pas tout. Vu que toutes les valeurs concernant la résistance à l'usure et aux rayures étaient largement suffisantes, la cause de l'usure prématurée du sol ne pouvait plus être attribuée qu'à une erreur de fabrication, malgré la méthode d'émaillage moderne utilisée.
Il est vrai que la plupart des fabricants n’appliquent plus une couche d’émail sur les carreaux céramiques, mais injectent plutôt celui-ci dans la face des carreaux exposée au trafic afin de rendre la couche supérieure aussi robuste que possible en vue d'augmenter leur durabilité. Et la présence d’un paillasson à la porte d'entrée, à l'intérieur comme à l'extérieur, indiquait que le propriétaire traitait son habitation ‘en bon père de famille’. Rechercher d'éventuelles particules abrasives résiduelles sur les semelles des chaussures en pénétrant dans la zone de la cuisine s’avérait dans ce cas-ci négligeable.
Pourtant, l'expert était d'avis que le sol présentait bel et bien les signes d’une abrasion locale. Imputable uniquement au frottement entre la surface du carrelage et des chaussures abrasives. Était-il possible que l’occupant soit rentré avec de grosse chaussures ou bottines de sécurité très sales ou dotées de semelles à renforts métalliques? C'est peut-être chercher un peu loin – et cela s’apparente à une tentative de protéger le fabricant –, mais seule une enquête plus poussée et un test d'usure officiel auraient pu permettre de lever tous les doutes et, surtout, de disculper juridiquement le carreleur. À moins que ce dernier ait lui-même fourni les carreaux et connaissait les conditions avant de poser le premier carreau.
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