La pose de carrelages sur du chauffage par le sol peut parfois mal tourner
Dans cet article, nous allons tenter de clarifier les principaux points d'attention pour livrer un carrelage durable sur du chauffage par le sol en faisant appel à un expert.
Poser des carrelages sur un système de chauffage par le sol est de plus en plus fréquent. Malheureusement, les plaintes post-exécution se multiplient et les propriétaires contactent automatiquement le carreleur pour lui demander quel est le problème. Lorsque les parties ne parviennent pas à trouver un accord, il est possible de faire appel à un expert pour examiner le problème. Et c'est exactement ce qui s'est produit ici. L'entrepreneur-carreleur n'ayant pas répondu à plusieurs courriels et appels téléphoniques du propriétaire, il n'y avait d'autre solution que consulter un expert pour procéder à un examen.
Situation et contexte
Situation sur place et cause de l'expertise
Le carreleur s’était vu confier la mission suivante: dans une villa à Bruxelles, coller quelque 200 m² de carreaux céramiques de 60 x 60 cm sur une chape au ciment agrémentée d’un système de chauffage par le sol. Soit une chape flottante de type B. Vous ne voyez pas de quoi on parle? Pas de problème, nous allons vous rafraîchir l’esprit.
Les notions de ‘système sec’, pour lequel les éléments de chauffage sont montés enfouis dans la couche d'isolation, et de ‘système humide’, pour lequel les tubes sont coulés dans le mortier de chape, ont entre-temps été remplacées par le type A (tubes dans la chape) et le type B (tubes dans l'isolation du sol). À côté de cela, il existe encore un autre type C, pour lequel les tubes de chauffage se situent dans une couche intermédiaire entre la chape et l'isolation, ainsi qu’un type D (système à éléments sous forme de panneaux creux). Les épaisseurs de construction deviennent de plus en plus fines avec ces systèmes modernes et ceux-ci peuvent également servir à la climatisation en été.
Revenons-en au chantier. Quelques jours après la réception des travaux, le maître de l’ouvrage a constaté des craquements et des sons creux dans les carrelages lorsqu'il marchait dessus. Il a également remarqué des fissures et une dégradation des joints le long des bords des carreaux. Il revenait donc à l'expert de déterminer la cause de ces anomalies. Pas une sinécure car, à première vue, tous les joints de dilatation nécessaires avaient été réalisés au bon endroit.
Controle et examen
Première chose à faire: s’informer
Comment un expert entame-t-il l’examen d’un carrelage de sol? Il est très important que l'expert puisse avant tout glaner un maximum d’informations générales auprès du maître de l’ouvrage et/ou de l'architecte concernant la structure du sol et les couches sous-jacentes. Notamment en demandant les plans, les rapports de chantier, les cahiers des charges établis lors de la phase préparatoire, des photos prises pendant l'exécution, en contactant d’autres sous-traitants concernés, etc. Parfois, il se peut qu’une cave (vide ventilé) ou un garage soit présent sous les hourdis, pouvant amener à se poser des questions sur la stabilité de l'ensemble.
Une fois toutes ces informations recueillies et examinées, si aucun vice ou erreur n'apparaît immédiatement, il conviendra de procéder à un examen visuel. Si vous ne trouvez pas immédiatement une cause directe, un examen destructif fera partie des possibilités afin d'obtenir des certitudes sur la structure réelle, l'épaisseur des couches et la cohésion du sol.
Attention spéciale accordée aux zones critiques du carrelage
L’expert a identifié les zones les plus critiques:
- A la hauteur des baies vitrées orientées au sud (absorption supplémentaire de chaleur par le sol consécutivement à l’incidence de la lumière solaire). L'absorption de chaleur d'un sol variera: plus il sera de couleur foncée, plus il absorbera la chaleur. Des carreaux clairs absorberont donc moins de chaleur et réduiront le risque de dommages thermiques
- Dans le couloir du hall d'entrée (beaucoup de trafic de l'intérieur vers l'extérieur et inversement).
- Dans la zone de travail de la cuisine (contraintes ponctuelles régulières)
Ces zones critiques présentaient identiquement les mêmes anomalies, à savoir une dégradation des joints du carrelage accompagnée de sons creux localisés et de craquements lorsqu'on marche sur les carreaux concernés.
CONSEIL: Mettez en service un système de chauffage par le sol conformément au protocole de mise en service requis, non seulement avant d’entamer les travaux de carrelage, mais aussi une fois le sol parachevé!
Liste de contrôle: les 10 principaux points d'attention lors de l’examen pour l’expertise
La situation proprement dite. Sur la base de ce chantier, nous avons établi une liste de contrôle en 10 points destinée à l’expert pour lui permettre de procéder à l’examen technique d’un carrelage sur une chape chauffante à pose flottante:
1. Comment et en quels matériaux les couches sous-jacentes ont-elles été réalisées?
Dans ce bâtiment, il s'agissait clairement d'une chape au ciment flottante, sur laquelle les carreaux avaient été directement collés. Comme l’indiquaient les différents documents soigneusement conservés par le maître de l’ouvrage.
2. Un plan de pose des carreaux de sol est-il disponible?
Et ce pour pouvoir répertorier la position des joints de dilatation en fonction des circuits de chauffage par le sol. L'expert pourra ainsi comparer ce plan avec la situation dans la pratique. Aucun plan de pose n'était disponible pour ce chantier.
3. Le chauffage par le sol a-t-il été mis en route selon la procédure classique ou selon les spécifications du fabricant?
Il est hautement recommandé de respecter le cycle chauffage/refroidissement tant avant les activités de pose que lors de la mise en service du sol. Un démarrage brutal du système de chauffage par le sol augmentera le risque de dommages, vu que les différents coefficients de dilatation de toutes les couches sous-jacentes pourront à peine s’additionner en cas de choc thermique. Vraisemblablement, la mise en service du système de chauffage par le sol n'a pas été faite car, selon le propriétaire, la chaudière n'avait pas encore été raccordée lorsque les travaux de carrelage ont débuté.
Le CSTC est très clair à ce sujet dans le CSTC Magazine 1989-4.4.: "La mise en route du chauffage s'opérera en augmentant systématiquement la température de 5 K par 24 heures à partir de l'état froid jusqu'à la température maximale de fonctionnement de l'élément de chauffe. Cette température doit être inférieure à la température maximale admise pour les liants utilisés dans la chape. Le retour à la température initiale se fera également de manière progressive, c'est-à-dire à raison de 5 K par 24 heures. La température maximale de fonctionnement sera maintenue pendant 3 jours au minimum, afin que la chape ait atteint son mouvement maximal avant la pose du revêtement.”
Par ailleurs, "afin d'éviter de plus grandes contraintes thermiques lors de la mise en service du système de chauffage par le sol, la montée en température doit s'opérer progressivement (par palier de 5°C par jour afin de limiter ΔT). Le schéma de cette opération fourni par le fabricant du système de chauffage par le sol doit donc être respecté à la lettre. "De plus, il est conseillé de mettre le système de chauffage en route une première fois et de le laisser refroidir avant la pose du carrelage." (Réf.: Infofiche 59 (09/2012) du CSTC).
Le CSTC Contact n° 50 (2-2016) recommande aussi fortement la procédure de démarrage même pour les systèmes innovants de chauffage par le sol: "il est conseillé de mettre le système de chauffage en route une première fois et de le laisser refroidir avant la pose du revêtement de sol. Ce cycle est appelé ‘protocole de démarrage’. Pour de plus amples informations quant au protocole de démarrage pour les systèmes de chauffage par le sol de nouvelle génération, informez-vous directement auprès des fabricants concernés.”
4. Une membrane de désolidarisation a-t-elle été utilisée sous les carreaux?
Cela s'applique uniquement pour les carreaux d’une superficie supérieure à 3.600 cm², et ne vaut donc pas pour les carreaux céramiques ici présents, au format 60 x 60 cm. L'utilisation de membranes de désolidarisation pourra s’avérer très utile dans certaines situations, mais elle n'est pas obligatoire et n'est pas (encore) reprise dans une norme. Certains fabricants prétendent que leur colle à carrelage peut remplacer une telle membrane de désolidarisation. Remarque importante ici: une colle à carrelage ne peut pas, en soi, désolidariser un carrelage. Par souci de clarté et de sécurité, il sera toujours préférable de demander conseil au fabricant ou au conseiller technique auprès duquel vous avez acheté les produits.
5. Le carreleur a-t-il utilisé la méthode de pose et l’outillage appropriés?
Cela signifie aussi: la colle à carrelage appropriée sur une chape sèche, les outils adaptés (taille du peigne à colle, accessoire de compression, etc.)? La méthode buttering/floating ou double encollage a-t-elle été appliquée avec les stries de colle réalisées parallèlement les unes par rapport autres? Pour s'en assurer, un examen destructif constituera évidemment un mal nécessaire, à moins que l'on dispose de relevés effectués sur place avant et après les activités de pose. Dans le cas qui nous concerne, un examen destructif n'était pas (encore) à l'ordre du jour.
Sur la base des photos prises par le maître de l’ouvrage pendant les travaux de carrelage, l'expert a clairement pu constater que la technique du double encollage avait été appliquée de manière assez négligée. Pas que ce soit une exigence officielle, mais cette méthode est hautement recommandée surtout sur du chauffage par le sol, car l'objectif est d'obtenir une surface de contact à 100%. En effet, si un seul encollage a été appliqué, il y aura toujours des espaces creux sous les carreaux. Même en appliquant la technique du double encollage, mais en croisant les stries de colle, de petites poches d'air se formeront toujours sous les carreaux. L'air étant un isolant, poser une isolation au-dessus d'un système de chauffage par le sol ne sera pas idéal.
6. Les joints ont-ils été réalisés à la largeur suffisante?
Généralement, un chauffage par le sol nécessitera toujours un joint d'au moins 3 mm. Réguler la répartition des contraintes dans un carrelage constitue en effet une des principales fonctions des joints. Dans le cas présent, les joints présentaient une largeur légèrement inférieure à 3 mm.
L'expert a également noté que des joints de mouvement souples étaient bien présents dans l’espace de vie, mais que ceux-ci étaient très étroits, à savoir quelques millimètres seulement! La largeur des joints de fractionnement ou de mouvement doit en fait être équivalente à 4 à 5 fois le mouvement prévu de la surface du sol.
L’Infofiche 59 (09/2012) du CSCT indique en effet: "les joints de dilatation doivent être appliqués de manière continue (sans décalage) dans le complexe carrelage/chape. Il convient d'éviter le plus possible que les joints de dilatation ne croisent les tuyaux de chauffage au sol. Il importe de convenir du positionnement des joints de mouvement au préalable, en accord avec toutes les parties concernées (maître d'ouvrage, architecte, installateur du chauffage par le sol, chapiste et carreleur). Le mouvement anticipé du revêtement de sol est égal à la dilatation thermique potentielle, qui se calcule au moyen de la formule suivante: L.α.ΔT. avec L = la longueur du sol, α = le coefficient de dilatation thermique de la chape ou du revêtement de sol (le plus grand des deux) et ΔT la différence de température pouvant se produire dans le sol. (Source: CSTC NIT 179)
Finalement, on arrive souvent à des valeurs comprises entre 7 et 12 mm. Ces largeurs ont cependant été calculées avec une marge de sécurité, mais avec une certaine restriction dans la pratique, où l'on considère généralement un minimum de 4 à 5 mm comme critère pratique.
Dans le cas présent curieusement, dans les extrémités des joints de dilatation était présent du ciment durci jusque contre les éléments de mur fixes. Cette transition sans précédent ‘de souple à solide’ a suscité des inquiétudes supplémentaires et a dû être prise en compte dans l’étude sur la cause des dommages locaux.
7. Des systèmes de nivellement ont-ils été utilisés?
Ces systèmes permettent de poser les carreaux parfaitement de niveau les uns par rapport aux autres. Si oui, ont-ils été correctement appliqués dans un lit de colle suffisamment épais? Cela n'a pu être confirmé.
8. Une isolation périphérique suffisamment épaisse est-elle présente et celle-ci n’a-t-elle pas été collée par des résidus de colle à carrelage ou de mortier de jointoiement?
Dans la plupart des cas, cela ne pourra être vérifié qu'en retirant quelques plinthes, ce qui a d'ailleurs effectivement été fait par l'expert.
9. Tous les joints de mouvement, de fractionnement et de transition sont-ils à leur place et ont-ils été directement repris depuis la chape dans le carrelage?
Dans certains cas exceptionnels, il sera possible de ‘déplacer’ les joints de fractionnement (pas les joints de structure!) en recourant à des membranes de désolidarisation spécifiques. Il faudra ici demander suffisamment d’informations auprès du fabricant afin de fournir les garanties nécessaires tant au carreleur qu'à l'architecte et/ou au maître de l’ouvrage. Cela ne pouvait être vérifié sans retirer des carreaux.
10. Le raccord entre les plinthes et le sol a-t-il été parachevé avec un mastic de dilatation?
A-t-on ici prêté attention à une adhérence à deux points? Lors de l'application d'un joint de mastic ou d'un mastic silicone spécifique, une adhérence à trois points est exclue. Un joint élastique fonctionnera de manière optimale uniquement en cas d’adhérence à deux points. Cela ne pouvait également être vérifié qu'en retirant quelques plinthes.
Conclusion
Les carreaux difficilement accessibles, comme dans la cuisine agrémentée d’un îlot, pourront être réparés au moyen d’une technique d'injection innovante avec une résine liquide à deux composants. Il ne sera donc pas nécessaire de retirer les meubles de la cuisine, ce qui épargnera aux responsables des coûts parfois colossaux.
En cas d'erreurs ou d’écarts sur un carrelage posé, l'entrepreneur-carreleur sera rapidement pointé du doigt. D'autres parties pourront être tout autant partiellement responsables de ces phénomènes, comme par exemple l'installateur du chauffage par le sol, l'architecte, d'autres sous-traitants, etc.
Dans ce cas-ci, le carreleur sera pratiquement mis hors de cause car il a réalisé la pose dans les règles de l'art et le respect de la déontologie, à quelques détails près peut-être (voir les points d’attention ci-dessus). Mieux encore, ni le maître de l’ouvrage ni l'architecte n'ont été en mesure de fournir à l'expert la preuve de la mise en route correcte du système de chauffage par le sol une fois le carrelage parachevé. C’est dans cette direction qu’il faut chercher la cause des dommages, c'est clair.
Lire cet article gratuitement ?
Il suffit de créer un compte gratuitement.
-
Lire quelques Plus articles gratuits chaque mois
-
Choisissez vous-même les articles que vous souhaitez lire
-
Restez informé via notre newsletter